L’usage de la violence sur les enfants dans l’éducation est très répandu en Suisse. Dans une étude de 2020, 4,4 % des parents indiquent faire régulièrement usage de la violence. 23,2% des parents maltraitent psychiquement et systématiquement leurs enfants. Dans une étude récente menée par l’Université de Fribourg, près de 50% des enfants en Suisse subissent des violences physiques et/ou psychiques à la maison. Si la tendance est à la baisse, ces chiffres montrent que la violence dans l’éducation est profondément ancrée au sein des familles, étant ainsi un véritable problème sociétal.
Qu’est- ce que la violence dans l’éducation ?
La violence dans l’éducation des enfants relève d’un problème de société. Les châtiments corporels n’étant pas interdits par la loi suisse, beaucoup de parents ne voient pas la gravité de leurs actes lorsqu’ils donnent une gifle ou une tape sur les fesses de leurs enfants pour les punir. Ils ne perçoivent pas ces punitions comme étant des actes de violence. Concernant les formes psychiques de violence, parmi lesquelles on trouve les humiliations, les insultes, l’ignorance et l’intimidation,il est encore plus difficile pour les parents de réaliser qu’il s’agit-là d’actes de violence. Plus précisément, une étude menée en 2022 par la fondation de droit privé et d’utilité publique Protection de l’enfance Suisse a découvert que 32,4% des parents pensent qu’il est permis d’ignorer l’enfant pendant un long moment. Environ 39,7 % considèrent que gronder est une mesure éducative autorisée et 11% estiment que menacer de frapper est conforme à la loi.
Ce problème n’est pas anodin. Il résulte du fait qu’en Suisse il n’existe aucune définition universellement applicable et acceptée pour définir le terme de « violence parentale ». Cependant, la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant énonce, dans son article 19, le droit de l’enfant à être protégé contre toute forme de violence, dans la sphère domestique comme à l’extérieur. La Suisse a ratifié cette Convention en 1997, elle s’est donc engagée à l’appliquer. La Convention d’Istanbul, une autre source en vigueur en Suisse depuis 2018, dans son article 3 let. b inclut dans sa définition de la violence domestique « tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime. »
Ainsi, la violence peut prendre différentes formes. On la divise communément en quatre catégories : physique, psychique, sexuelle et négligente. La fondation Protection de l’enfance Suisse dans l’étude qu’elle a commandée de Schöbi et al. (2020), caractérise ces quatre catégories de violence. La violence physique est « une agression ou une atteinte physique et psychique ou tout acte visant à compromettre l’intégrité physique d’un enfant ». La violence psychique sur enfants apparaît d’ordinaire « sous la forme de remarques, d’agressions verbales ou de gestes non verbaux ». La violence sexuelle indique « tout acte sexuel avec ou sans contact physique qu’une personne, qui abuse de son autorité, impose à une autre personne ». Enfin, les négligences, une forme de violence qui concerne exclusivement les enfants, se présentent « lorsque les besoins fondamentaux de l’enfant tels que les soins, la nourriture et l’affection sont, sciemment ou inconsciemment, négligés ».
Les conséquences de la violence dans l’éducation
Les conséquences de la violence dans l’éducation peuvent être physiques et/ou psychiques. Elles sont naturellement plus graves pour les jeunes enfants que pour les plus âgés, en raison de leur développement moins avancé. Ils sont plus vulnérables face à la violence. En effet, ils n’ont pas les moyens de se défendre, ni de se protéger contre cette dernière. Le plus souvent, les plus petits n’ont pas d’autres personnes de référence en dehors de leurs parents. De cette façon, ils n'ont personne à qui se confier pour trouver de l’aide ou du réconfort.
Il est important de souligner que, le plus souvent, l’enfant est exposé à une violence multiple. Il ne subit pas uniquement de la violence physique, mais aussi de la violence psychique, voire sexuelle. Les enfants ayant subi des violences durant leur jeune âge ont tendance à devenir des adolescents perturbés souffrant de troubles mentaux. Adultes, ils portent le lourd fardeau de ce traumatisme.
L’attitude à adopter
« L’éducation ne peut tout résoudre tout de suite. Mais sans l’éducation, rien ne peut être résolu » affirme Marie Gilbert, citée dans Le grand guide de l’éducation constructive. Éduquer un enfant est une tâche difficile. Les parents ne sont pas parfaits, et ils commettent des erreurs dans l’éducation de leurs enfants. Il faut accepter cet état de fait mais faire en sorte qu’ils ne répètent pas leurs erreurs. Il n’y a pas de recette secrète.
Les enfants ont besoin d’avoir des personnes de référence dans leur entourage afin de favoriser leur développement. Au préalable, il est bon que les adultes à leur charge s’acceptent, reconnaissent leurs erreurs et assument leurs responsabilités. Ensuite, il est important que les parents adoptent une éducation constructive. Ils doivent permettre à leur enfant de se construire, l’armer contre les aléas, favoriser le développement de sa force personnelle et l’aider à préserver sa dignité face à toute violence. Ce point est, par ailleurs, souligné dans L’Éducation constructive des enfants de l’UNESCO (p. 78) :
« Dans toute société donc, chaque enfant doit apprendre, en se développant, à se conformer plus ou moins à un ensemble de normes culturelles ; et sa conception du « bien » et du « mal » repose dès son plus jeune âge sur ce qu’il voit des adultes qui l’entourent juger acceptable ou inacceptable. »
De nombreuses organisations, dont Terre des Hommes Suisse, Protection de l’enfance Suisse ou encore l’Organisation mondiale de la santé luttent contre la violence dans l’éducation avec des campagnes de sensibilisation et des offres de prévention. Par ailleurs, il existe en Suisse une Ordonnance sur des mesures de protection des enfants et jeunes et sur le renforcement des droits de l’enfant qui dispose que la Confédération prévoit des programmes, des activités régulières ou des projets servant à « prévenir, sensibiliser, informer, transmettre des connaissances, conseiller, perfectionner, accroître des compétences, investiguer ou évaluer. » (art. 3 al. 1 et al. 2).
Ainsi, la sensibilisation aux violences parentales n’est plus suffisante. Il est temps d’envisager une loi spécifique qui aurait pour but d’interdire les actes de violence dans l’éducation et de promouvoir l’éducation non-violente. Une loi qui interdirait à la fois les châtiments corporels et les châtiments psychiques. Les effets des châtiments psychiques étant fréquemment minimisés - alors même que les conséquences qu’ils engendrent sont parfois plus graves que celles des châtiments corporels - il est d’autant plus important d’en parler. Cette loi permettrait également de définir définitivement ce qu’est la violence parentale dans l’éducation.
Daniela Iria Novais, le 27 novembre 2022
Sources
https://www.kinderschutz.ch/media/33jj00ci/resultatebulletin-2_f.pdf : Étude de l’Université de Fribourg réalisée à la demande de Protection de l’enfance Suisse.
https://www.kinderschutz.ch/fr?gclid=Cj0KCQiAveebBhD_ARIsAFaAvrGwOlMvEmfyvZ1gNhnloKu69s6S-juTU_PGXDeRjUUWcLXkBCfAvZYaAjivEALw_wcB : Protection de l’enfance Suisse, fondation de droit privé et d’utilité publique.
https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1998/2055_2055_2055/fr : Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, Article 19 (CDE, RS 0.107, en vigueur en Suisse depuis 1997).
https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2018/168/fr : Convention d’Istanbul (RS 0.311.35, en vigueur en Suisse depuis 2018).
https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000136365/PDF/136365freo.pdf.multi : L’Éducation constructive des enfants,Unesco, 1979.
https://static.fnac-static.com/multimedia/editorial/pdf/9782212567328.pdf : Marie Gilbert, Le grand guide de l’éducation constructive.
http://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/67410/a77101_fre.pdf?sequence=1 : OMS, Rapport mondial sur la violence et la santé.
https://www.fedlex.admin.ch/eli/oc/2010/390/fr : Ordonnance sur des mesures de protection des enfants et des jeunes et sur le renforcement des droits de l’enfant.
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