On le sait, les jeunes étalent de plus en plus leur vie privée sur les réseaux sociaux. Ce que l’on sait un peu moins, en revanche, c’est que ce sont parfois les adultes qui exposent leurs enfants sur Internet. Depuis quelques années, le sharenting prend une ampleur inquiétante et suscite de nouvelles interrogations. Et si, cette fois, le danger venait des parents ?
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il a pris une ampleur suffisante pour se faire un nom : le sharenting. Ce terme (contraction de share « partager » et de parenting « parentalité ») désigne le fait de mettre en ligne et de partager des photos de ses enfants. De la première échographie à la cérémonie de fin d’études, en passant par les premiers pas, les premières chutes et tous les anniversaires : certains parents utilisent les réseaux sociaux comme un autel dédié à leur petite merveille. En oubliant bien souvent de demander son avis à la merveille en question.
Une pratique qui n’a rien d’illégal
D’un point de vue purement juridique, le sharenting n’a rien d’illégal, et la Convention sur les droits de l’enfant reste, pour le moment, muette à ce sujet. Il ne faut cependant pas oublier une notion essentielle : le consentement de l’enfant. En effet, dès leur première année d’école, les jeunes sont en mesure de savoir s’ils aiment ou non une photo, et leur avis ne sera pas toujours celui de leurs parents. Bien que ces derniers soient, par procuration, détenteurs des droits de leur enfant tant que celui-ci ne possède pas sa capacité de discernement, ils doivent néanmoins toujours s’assurer que ce dernier ne s’oppose pas au partage de son image. En théorie, il n’y a rien de compliqué. Et pourtant, des cas de sharenting abusifs ont menacé l’identité numérique de certains jeunes qui, une fois majeurs, sont allés jusqu’à porter plainte contre leurs parents et à revendiquer leurs droits devant un tribunal.
Un passe-temps innocent, vraiment ?
Outre le (manque de) consentement, le principal problème du sharenting est qu’il peut se révéler dangereux malgré ses airs inoffensifs. Il est vrai qu’il est difficile de voir comme une menace Mamie Josie et ses six abonnés sur Instagram. Et pourtant, il est possible que cette chère Josie ait oublié un léger détail avant de poster une photo de ses petits-enfants en train de prendre leur bain : mettre son profil en privé. Résultat ? Ses petits trésors sont désormais affichés à la vue de tous les inconnus qui tomberaient par hasard sur son feed. De là à retrouver la photo en question sur des sites plus que douteux, il n'y a qu'un clic malintentionné.
De même, certains parents sont très fiers de partager le fait que, désormais, leur enfant est assez grand pour se rendre seul à l’école tous les matins. Pour illustrer cet exploit, une photo du petit aventurier posant devant le bâtiment scolaire. Est-il vraiment nécessaire d’en dire plus ?
Le sharenting peut également banaliser des comportements graves, tels que le chantage affectif. En effet, dire à son enfant d’accepter qu’on publie son image « pour faire plaisir à Maman/Papa » surtout « après tout ce que Maman/Papa fait pour toi » peut être lourd de conséquence. En effet, les jeunes peuvent plus tard se retrouver confrontés aux mêmes mots, mais pour un type de photos légèrement différent : les fameux nudes. Si, par exemple, une jeune fille a subi ce type de chantage affectif depuis son plus jeune âge, comment pourrait-elle faire la différence si un garçon lui demande une photo de ses seins « pour lui faire plaisir » et parce que, pour lui « elle pourrait quand même faire une exception » ? La comparaison paraît exagérée ? Pas tant que ça, au fond. Dans les deux cas, son refus n’est pas accepté. Dans les deux cas, son malaise n’est pas respecté. Dans les deux cas, on la fait culpabiliser si elle n’accepte pas. Dans les deux cas, les conséquences peuvent être graves.
Le bien-être de l’enfant avant la fierté des parents
Si les enfants sont prévenus de plus en plus tôt des éventuels dangers d’Internet et des réseaux sociaux, les parents oublient parfois de mettre en pratique leurs propres conseils. Le sharenting peut effectivement rester un plaisir innocent, à condition d’être fait dans le respect de l’enfant, de son bien-être et de ses droits. Même si les parents sont très fiers de leur progéniture et ont envie de le montrer au monde entier, l’intérêt de l’enfant prime. Enfin, apprendre la prudence à ce dernier, c’est bien, ne pas devenir un danger pour lui, c’est mieux.
© Caleb Woods
Sophie Dupraz
05.04.2022
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