Un enfant Nukak portant un collier fait de dents de singe. © Juan Pablo Gutierrez
En Colombie, le peuple Nukak se bat pour avoir le droit de revenir dans leurs terres natales d’Amazonie. L’exploitation de leurs ressources les a poussé à l’exil. Ces déplacements ont mené à d’importantes difficultés d’ordre existentielles mais aussi à des violences récurrentes contre les jeunes autochtones. Dans un contexte de changement climatique, la survie de ces peuples est d’importance planétaire. Ils représentent les dernières populations qui vivent selon un mode de vie réellement durable, ce qui a permis leur survie depuis des millénaires.
Les Nukak, un peuple autochtone en exil
Il y a 23 ans en Colombie, une tribu nomade indigène se voit chassée de son territoire par la guérilla des FARC (forces armées révolutionnaires de Colombie). C’est le premier réel contact que ces indigènes ont avec le monde extérieur. Jusqu’en 1988, ils vivent séparés du monde globalisé, en harmonie avec la nature. Du jour au lendemain, les Nukak (ou Nukak-Maku) doivent s’adapter à un autre mode de vie, c’est un choc culturel. Ils bénéficient de nombreux éléments de la modernité mais ils ont évidemment beaucoup de mal à s’y intégrer pleinement.
La prise de contact amène à une épidémie de grippe qui s’avère particulièrement forte. La présence de nouvelles maladies est une des raisons qui explique que cette communauté est considérée comme en voie d’extinction. Après leur « découverte » la population a réduit de moitié en 25 ans pour atteindre 700 individus en 2018. L’espérance de vie des Nukak n’est que de 43 ans.
La présence de groupes militaires et criminels dans leurs terres devient de plus en plus problématique et après plusieurs années les Nukak sont poussés à l’exil de manière violente. Aujourd’hui la plupart de ces indigènes vivent loin de leur terre natale, qui est souvent utilisé dans des plantations de Coca par ces mêmes groupes criminels. Un camp a été formé autour de la ville de San Jose del Guaviare et de nombreux Nukak y ont pris refuge.
Le gouvernement colombien a tenté de déplacer la population dans une autre zone protégée de la forêt amazonienne. Si cette politique peut paraître bonne, la zone prévue était très petite et de nombreuses maladies sont présentes dans cette région loin de leur territoire originel. Face aux difficultés rencontrées, un des représentants des Nukak s’est suicidé ce qui a marqué le départ de la communauté de la zone offerte par le gouvernement.
À ce jour, aucune solution idéale n’a été trouvée et la plupart des Nukak sont de retour dans des camps, tentant tant bien que mal de continuer à vivre selon leur mode de vie traditionnel.
Les peuples autochtones, des protecteurs de la biodiversité
Dans le monde, à l’image des Nukak en Colombie, plus de 476 millions de personnes (6% de la population mondiale) font partie de peuples autochtones. La déclaration des droits des peuples autochtones de 2007 (que la Colombie a ratifiée) affirme que Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis. Ils ont donc droit à un environnement sain, soit à la possession de leurs terres ancestrales. Bien souvent ils ont une connexion spéciale avec leur environnement souvent de caractère divin.
En effet, la plupart des peuples autochtones sont à la pointe de la conservation de la nature. Selon des estimations, ces différentes populations sauvegarderaient plus de 80% de la biodiversité restantes sur Terre. De nombreux scientifiques s’appuient donc sur les connaissances de ceux-ci pour mieux comprendre les questions environnementales. Avec le changement climatique, le mode de vie durable des peuples autochtones revient sur le devant de la scène et est vue comme une solution pour faire face aux enjeux climatiques futurs. Lors de la COP27 qui a eu lieu l’année dernière en Égypte, une délégation historique de plus de 300 délégués indigènes a participé aux débats sur le changement climatique. Cependant leurs voix peinent encore à se faire entendre et elles n’ont donné lieu qu’à très peu d’actions concrètes des gouvernements. Ils ont tout de même pu partager au monde leur mode de vie et expliquer leur lien souvent particulier avec la nature.
Ce lien est aussi primordial chez les Nuka. A l’origine, c’est un peuple nomade, un des seuls encore existant en Colombie. La plupart des 86 autres peuples autochtones du pays s’étant sédentarisés. Les Nukak sont des chasseurs-cueilleurs connus pour leur utilisation de sarbacanes avec des flèches induites de curare qui permet d’empoisonner le gibier. Avant d’être déplacé de force, ils changeaient de lieu tous les 5 à 10 jours environ pour avoir accès aux meilleures ressources que la nature a à leurs offrir ce qui permet de ne pas surexploiter les plantes.
L’importance de la conservation de l’Amazonie est capitale avec son importante biodiversité et les peuples indigènes de la région y participent à leur manière. Dans d’autres régions du monde la protection de la nature par des peuples autochtones a fait ses preuves. En République démocratique du Congo une communauté contribue grandement à la protection de l’une des dernières forêts tropicales d’Europe et au Canada, des inuits ont réussi à reconstituer une population de caribous qui avaient vu leur population s’effondrer.
Cependant si la présence de ce type de communauté est bénéfique pour l’environnement, elle entrave souvent l’exploitation de certaines ressources par des multinationales ou des groupes criminels. La culture de cocaïne en Colombie devient importante dans les années 70 et atteint une production énorme encore aujourd’hui. Le problème est que ces cultures ont le plus souvent lieu dans des zones éloignées de toute urbanisation, tout comme les terres natales des Nukak et d’autres communautés similaires. De plus, les FARC, en conflit avec le gouvernement durant plus d’un demi-siècle, étaient implantées dans certaines de ces régions.
Comment les jeunes autochtones se battent pour une enfance digne de ce nom
L’instabilité de l’Amazonie colombienne pousse les indigènes à quitter leur territoire. Parfois de leur plein gré mais le plus souvent de force, par des groupes armés comme les Nukak. Ces situations sont synonymes de grave violations des droits de l’homme.
Les groupes les plus vulnérables, les femmes et les enfants, sont les plus touchés par ces violences. Les petites filles autochtones sont souvent victime d’agression sexuelles voire de viols. En particulier, de nombreux cas d’abus sexuels de soldats face à des jeunes autochtones ont été recensés. Début 2023, 118 membres de l'armée colombienne et un membre de l'armée américaine font l'objet d'une enquête de potentiels viols de mineurs, de nombreuses allégations concernant de jeunes Nukak. Selon plusieurs médias colombiens, c’est un phénomène en constante hausse depuis quelques années. Certaines ONG affirment aussi que beaucoup de jeunes se font enrôler dans des réseaux de prostitution en échange de nourriture et parfois de drogue.
Les jeunes autochtones sont touchés d’autres problèmes particuliers. Si de plus en plus de sociétés se retrouvent loin de leur terre natale, il est difficile pour ceux-ci de mener une vie cohérente avec leurs origines tout en s’intégrant pleinement dans les sociétés dites « modernes ». L’accès à l’éducation est un constant combat et l’apprentissage des langues locales n’est que très rarement intégré dans les systèmes scolaires.
Les jeunes Nukak se retrouvent donc dans des conditions très difficiles. Le destin de leur communauté est incertain, menacé par l’exploitation de leurs terres ancestrales et le changement climatique. Beaucoup sont nés dans des camps et leur identité est tiraillée entre la culture de leurs ancêtres et la « modernité » à laquelle ils ont accès. Selon un de leur chef, beaucoup de jeunes sont tombés dans la drogue et l’alcoolisme. Les taux de suicide sont nettement plus haut chez les enfants indigènes que chez d’autres jeunes en Colombie.
Mais d’un point de vue plus optimiste, ces jeunes indigènes représentent aussi l’espoir d’un plus grand dialogue avec les différents gouvernements. La participation de leurs peuples dans le combat contre le changement climatique est vue par beaucoup de spécialistes comme nécessaire. De plus en plus de jeunes activistes militent pour une meilleure protection de la biodiversité et un développement plus durable. Il existe plusieurs organisations telles que le Global Indigenous Youth Caucus qui permettent à des jeunes indigènes venant des quatre coins du globe d’échanger et de militer pour des causes communes. Ces jeunes activistes peuvent jouer un rôle conséquent, se positionnant entre le monde globalisé et les cultures traditionnelles de leurs ancêtres.
Le futur incertain des peuples autochtones, un espoir fragile ?
L’histoire du peuple Nukak, comme nous l’avons vu, n’est pas isolée. Des milliers d’autres peuples autochtones se battent tous les jours pour leur survie et le droit de vivre sur leur territoire qui est leur lieu de vie depuis parfois des milliers d’années. Si dans les années 90, de nombreuses avancées ont été faites concernant les droits humains des peuples autochtones, des violations continuent dans différentes régions du monde et on voit peu de volonté politique pour protéger ces populations. En ce qui concerne les Nukak, leur effort a porté ses fruits : récemment, un accord visant à entamer le dialogue en vue de leur retour sur leur terre natale a été signée.
SOURCES :
BELLIER Irène, « Les droits des peuples autochtones. Entre reconnaissance internationale, visibilité nouvelle et violations ordinaires », L'Homme & la Société, 2018/1, p. 137-174. https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2018-1-page-137.htm
CULTURAL SURVIVAL, « Despite Historic Participation, Indigenous Peoples Are Again Sidelined in Major Decisions at COP27 », https://www.culturalsurvival.org/news/despite-historic-participation-indigenous-peoples-are-again-sidelined-major-decisions-cop27
DEUTSCHE WELLE, « The rape of Colombia's Indigenous children », https://www.dw.com/en/rape-children-columbia/a-54057486
LA LIBERTÉ, « Nukak, un génocide silencieux au XXIe s. », https://www.rts.ch/docs/histoire-vivante/a-lire/3009952.html/BINARY/histoirevivante_ve110311.pdf
LE POINT, « En Colombie, le sombre crépuscule des nomades Nukak », https://www.lepoint.fr/monde/en-colombie-le-sombre-crepuscule-des-nomades-nukak-17-12-2021-2457367_24.php#11
OHCHR, « Les peuples autochtones et les droits de l’homme », https://www.ohchr.org/fr/indigenous-peoples/about-indigenous-peoples-and-human-rights
UN, Department of Economic and Social Affairs, « The Situation of the World’s Indigenous Children and Youth », https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/mandated-areas1/children-and-youth.html
UNFCCC, « How Indigenous Peoples Enrich Climate Action », https://unfccc.int/news/how-indigenous-peoples-enrich-climate-action
Image d’illustration : https://www.survivalinternational.org/news/7707, © Juan Pablo Gutierrez
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