Souvent considéré comme un indicateur de bonne gouvernance et d'un espace de vie sain pour tous, le bien-être des enfants est étroitement lié à la prospérité de leur ville. Les villes amies des enfants offrent une nouvelle façon de concevoir l'espace urbain à travers le prisme des groupes les plus vulnérables, en leur donnant une place centrale dans la réalisation de leurs droits. Une ville adaptée aux enfants est une ville à l'avant-garde d'un avenir durable et prospère. ARISSANDRA EGOROVA
© School sign on an autumn background (Unsplash)
L'évolution démographique
Depuis près d'un siècle, les villes du monde entier connaissent des changements démographiques radicaux. En effet, alors qu'en 1950 la population urbaine ne représentait que 30 % du total mondial, les Nations unies estiment qu'elle atteindra 70 % en 2050, ce qui équivaut à près de 7 milliards de personnes dans les villes du monde entier.
Alors que près des deux tiers de la population vivent déjà dans les villes, ces prévisions mettent en garde contre les dangers d'une telle croissance. L'industrialisation et la densification s'intensifiant, notre siècle urbain pourrait bien s'enfoncer encore plus profondément dans les crises économiques, sociales et environnementales existantes.
Mais tout n'est pas perdu ! De ce fait, les villes émergent comme des acteurs clés dans la lutte pour un meilleur avenir, en s'attaquant à des défis cruciaux inhérents à leur croissance exponentielle, notamment les îlots de chaleur, la perte de biodiversité et même la perte d'interactions humaines. Face à ces enjeux, l'Agenda 2030 s'est engagé à ne laisser personne de côté, en particulier les couches vulnérables de la population telles que les jeunes.
De fait, il n'y a jamais eu autant d'enfants qui grandissent dans les villes. Plus d'un milliard d'enfants vivent déjà dans des zones urbaines à travers le monde, et plus de 1,2 milliard de jeunes âgés de 15 à 24 ans. Par conséquent, on estime que d'ici 2030, jusqu'à 60 % des citadins auront moins de dix-huit ans, ce qui fait de la démographie des jeunes un élément crucial de l'avenir du développement urbain.
Toutefois, si les villes peuvent être des cadres stimulants pour l'enfance urbaine, elles peuvent aussi représenter des menaces uniques pour son développement sain : en effet, un grand nombre d'enfants et de jeunes sont exposés à la pauvreté urbaine, à la pollution environnementale et à l'exploitation économique, parmi d'autres. Ainsi, la direction prise par une ville peut très bien avoir de graves répercussions sur le bien-être de ses jeunes et des générations futures.
Afin de contrecarrer ce scénario, l'ODD 11 de l'Agenda des Nations unies pour le développement durable a souligné la nécessité absolue de développer des villes et des établissements humains inclusifs, sûrs et résilients pour tous.
Pourtant, c'est l'année 1989 qui a marqué un véritable tournant dans la prise en compte des droits de l'enfant dans les villes. Tout d'abord, l'adoption de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, puis, moins de dix ans plus tard, la création des premières Villes amies des enfants.
L'essor des villes amies des enfants
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CDE) a constitué une étape cruciale pour une plus grande protection des enfants et des jeunes dans le monde en réalisant et en reconnaissant leurs droits à un développement urbain sain. Elle a jeté les bases d'un changement significatif dans la perception des enfants par nos sociétés et de la prise en compte de la voix des enfants à chaque étape de la planification urbaine. Investir en faveur de nos enfants est devenu un véritable investissement au profit de la société dans son ensemble, faisant des droits de l'enfant dans la ville une condition impérative à la construction de communautés durables et d'un avenir plus viable. Ces efforts ont finalement abouti, au début des années 1990, à l'idée des Villes amies des enfants (VAE).
L'Initiative des villes amies des enfants de l'UNICEF (CFCI, pour son acronyme en anglais) a été lancée dans le cadre de la deuxième conférence des Nations Unies sur les établissements humains (ou Habitat II). La conférence a eu lieu quatre ans après l'Initiative des maires défenseurs des enfants de 1992, faisant des droits et du bien-être des enfants une nouvelle priorité des développements urbains locaux. La session s'est conclue sur une promesse : un plan d'action visant à construire un monde adapté aux enfants, à promouvoir une participation significative des enfants et des adolescents aux processus de prise de décision et à reconnaître les jeunes comme des agents positifs du changement, quel que soit leur âge.
L'Initiative Villes amies des enfants de l'UNICEF offre une alternative à un monde construit par et pour les adultes, en veillant à ce que la prise de décision et les plans urbains soient réalisés dans l'intérêt supérieur des enfants, à tous les niveaux de gouvernance, faisant d'une ville un environnement bienveillant, inspirant et ouvert à tous pour leur permettre de grandir sainement. Elle garantit la réalisation de leurs droits, tels qu'ils sont énoncés dans la Convention relative aux droits de l'enfant, et repose sur ses quatre principes fondamentaux :
La non-discrimination (article 2) : les villes amies des enfants doivent être accueillantes et ouvertes à tous les enfants et condamner toute forme de discrimination.
L'intérêt supérieur de l'enfant (article 3) : L'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération première des villes amies des enfants à tous les niveaux du gouvernement.
Le droit de chaque enfant à la vie et à un développement optimal (article 6) : une ville amie des enfants doit fournir un environnement optimal pour une enfance saine et le développement de la jeunesse, y compris le développement physique, social et psychologique.
Écouter les enfants et respecter leurs opinions (article 12) : une ville amie des enfants doit encourager et promouvoir la participation active et informée des jeunes à la construction de villes amies des enfants.
Les principes fondamentaux sont associés aux objectifs à long terme du cadre d'action de l'Initiative des villes amies des enfants, conçus pour aider les communautés locales à concrétiser cette vision, sous la forme d'une main d’enfant : le droit d'être valorisé, respecté et traité équitablement, le droit d'être entendu, le droit aux services sociaux, le droit à la sécurité, et le droit à la vie de famille, au jeu et aux loisirs. La participation est donc établie comme un droit, reconnaissant la capacité des enfants et des jeunes à participer à juste titre et à influencer les décisions dans tous les domaines qui les concernent directement – ce qui est essentiel pour former les citoyens adultes responsables et engagés de demain. (image : UNICEF, 2018).
“Une société qui se coupe de ses jeunes se prive de tout moyen de survivre” - Kofi Annan
La Suisse et la ville de Genève - une ville amie des enfants
Ce mouvement a pris de l'ampleur : plus de 40 pays dans le monde ont rejoint l'initiative, et 155 des 192 pays qui ont ratifié la CDE ont élaboré des plans d'action nationaux pour placer les droits de l'enfant au cœur de leurs systèmes de gouvernance locale.
Parmi ces 40 pays, la Suisse a rejoint l'initiative en 2004, sous les noms de « Kinderfreundliche Gemeinde », « Commune amie des enfants » et « Comune amico dei bambini » dans ses différentes régions linguistiques. D'ici le début de l'année 2023, 51 communes, dont la capitale Berne, auront reçu le titre de « Ville amie des enfants » décerné par UNICEF Suisse.
Depuis 2014, la ville de Genève s'est fortement engagée dans un parcours de mise en œuvre et de promotion des droits de l'enfant, conformément à la CDE, ratifiée par la Suisse en 1997. Elle a ainsi élaboré et appliqué un plan d'action pluriannuel de 2015 à 2020, avec plus de 60 actions entreprises pour les enfants de 4 à 12 ans dans les trois domaines principaux de la protection, de l'égalité et de la participation de l'enfant. Avec l'aide du Centre d'études des droits de l'enfant de Genève et de l'Institut international des droits de l'enfant de Sion, la municipalité a procédé à une évaluation approfondie du statu quo au moyen d'enquêtes détaillées et de consultations directes avec ses jeunes participants, dont les résultats ont été publiés dans un rapport. Par la suite, un nouveau plan 2022-2026 vient d'entrer en vigueur, prévoyant d'atteindre 250'000 enfants et jeunes. Grâce à ces efforts, la municipalité a obtenu en 2018 le titre de Ville amie des enfants, reconduit en mars 2023 pour 4 années de plus.
Par son suivi précis et continu, ainsi que par l'implication d'une multitude d'acteurs municipaux dans son exécution, la ville de Genève donne l'exemple de la mise en œuvre des droits de l'enfant à l'échelle de la ville.
Alors que les enfants devraient être considérés comme des membres individuels de la société et pas seulement comme des personnes en devenir, ils restent vulnérables, dépendants et facilement affectés par les actions ou l'inaction de nos gouvernements, ainsi que par les changements sociaux, environnementaux ou économiques. Face aux nouvelles tendances démographiques, il devient impératif de les considérer comme des membres à part entière de la société, ainsi que comme des acteurs clés des futurs développements urbains. En prenant en compte les besoins des citadins les plus vulnérables, la pratique de l'urbanisme peut permettre de développer des espaces plus inclusifs et plus respectueux des besoins liés à l'âge. Le développement sain d'un enfant est étroitement lié au développement sain d'une ville et d'une communauté dans son ensemble, ce qui fait des villes amies des enfants une stratégie importante pour parvenir au développement durable.
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