Le Canada et ses barrières invisibles : pourquoi l’éducation reste un défi pour les peuples autochtones.
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- 7 avr.
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Marjolaine Clavel, 19 mars 2025
1831. Le premier pensionnat autochtone ouvre ses portes.
La scolarisation des enfants autochtones devient une expérience traumatisante. Aujourd’hui, l’horreur est-elle terminée ?
Laissez-moi vous emmener au Canada, où les jeunes autochtones ont accès à l'éducation depuis le début du 19ᵉ siècle, contrairement à bien trop d'enfants dans le monde. Chanceux, me diriez-vous ? La réalité s’avère bien plus sombre.

Selon le secrétaire d’État George Murray, en fonction de 1895 à 1896, scolariser les Premières Nations, les Métis et les Inuits était une occasion de les « civiliser » et de faire progresser les populations autochtones. Pour le gouvernement canadien, l’école était un outil essentiel de « civilisation ». Les établissements destinés aux autochtones avaient pour but de leur enseigner le français ou l’anglais, de les convertir au christianisme (protestant ou catholique) et de les amener à la « modernité ». Pour y parvenir, les enfants étaient arrachés à leurs familles et placés en internat, où ils n’avaient plus le droit de parler leur langue. Colonisés et ainsi plongés dans des conditions de vie extrêmement dures jusqu’à leur majorité, ils étaient ensuite renvoyés dans leur communauté. Mais, exclus de leur culture et privés de leurs repères, ils se retrouvaient marginalisés, incapables de pêcher ou de communiquer dans leur langue d’origine. (1)
C’est à la fin du XXe siècle, pour soutenir les langues et cultures minoritaires, lutter contre le racisme et favoriser l’intégration que le Canada a financé des projets multiculturels. Bien que le Canada soit, depuis 1971, le seul pays doté d’une politique officielle de multiculturalisme, cette politique n’a pas remis en question les inégalités de pouvoir et de privilèges : les programmes scolaires restent centrés sur la culture dominante, rendant la réussite scolaire plus difficile pour les Autochtones. Afin de répondre à ces inégalités, des engagements plus récents ont été pris pour garantir une éducation plus inclusive. C’est dans cette optique que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2021) affirme son engagement envers une éducation culturellement adaptée. Mesurons l’ampleur du défi en quelques points:
Tout d’abord, l’accès à une éducation de qualité est limité.
Dans de nombreuses régions rurales et isolées où vivent les peuples autochtones, des écoles, des enseignants qualifiés ainsi que des ressources éducatives viennent à manquer. (7)
Ensuite, le langage impacte de manière fondamentale l’inclusion des élèves autochtones.
Cette barrière, linguistique et culturelle, renforce les inégalités discriminatoires. L’éducation qui leur est donnée utilise des programmes scolaires conçus dans la langue dominante et ne prennent pas en compte la langue et la culture des peuples autochtones, rien de mieux pour garantir une perte d'identité culturelle et une faible motivation scolaire. Selon le recensement de 2021, moins de 15% des enfants autochtones parlent couramment leur langue maternelle. Ces chiffres (1) ne peuvent être une simple conséquence des tentatives d’assimilation du 19ème siècle.
Par ailleurs, les enfants autochtones sont victimes de discrimination dans les écoles.
Des stéréotypes racistes persistent, décourageant les familles autochtones d'envoyer leurs enfants dans des institutions d'éducation. Face à cela, Amnesty Internationale (2) a publié un livret intitulé « Tu n'as pas l'air Autochtone ! », qui démystifie dix préjugés parmi les plus souvent entendus autour des personnes autochtones. A cause de ces stéréotypes, les attitudes et les comportements au sein du système éducatif sont influencés, créant un climat où les élèves autochtones se sentent marginalisés et incompris.
Les défis socio-économiques exacerbent les inégalités éducatives pour les enfants autochtones.
Les peuples autochtones sont parmi les groupes les plus marginalisés économiquement. Leurs familles manquent parfois de moyens pour financer la scolarité (uniformes, matériel, etc.). Les enfants doivent parfois travailler pour subvenir aux besoins de leur famille, au détriment de leur éducation. Selon l’Assemblée des Premières Nations (AFN) (3), qui exposent des rapports et analyses sur les impacts de la pauvreté dans les communautés autochtones, 52 % des enfants autochtones vivent sous le seuil de pauvreté comparativement à 17 % des enfants non autochtones.
Le poids des droits accordés aux peuples autochtones sont alors remis en cause:
L’application des lois mises en place pour protéger les droits des peuples autochtones, lente et incomplète, reflète un manque de priorité politique. Même si des lois protègent leurs droits, un déficit dans la reconnaissance de leurs droits persiste.
Des problématiques… pour quelles solutions ?
Soyons, dans un premier temps, soulagés que l’horreur du passé ne soit toujours pas d’actualité. Sur quoi pourrions-nous nous focaliser pour améliorer les conditions éducatives des peuples autochtones ?
Les initiatives locales, tout d’abord, afin de rétablir le manque d’écoles dans les régions rurales et éloignées. Par exemple, le programme canadien Indigenous Services Canada Infrastructure Investments, finance des projets éducatifs dans les communautés autochtones.
Intégrer les communautés autochtones dans les décisions politiques en matière d’éducation s’avère être une solution pour recruter et former des enseignants qualifiés. Songer à créer des bourses et des programmes spéciaux pour encourager les membres des communautés autochtones à devenir enseignants, ou encore intégrer des modules sur les cultures et langues autochtones dans les formations des enseignants pourraient être des solutions pour favoriser l’inclusion.
Enfin, soutenir économiquement les populations autochtones semble plus que jamais nécessaire, car la pauvreté limite drastiquement l’accès à l’éducation des familles. Notons que Jordan’s Principle (5) vise à financer les besoins éducatifs et sociaux des enfants autochtones.
Bibliographie
SPICEE. (2019, 2 avril). Documentaire exclusif : Le génocide culturel du gouvernement Canadien [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=FCGZf0F8IDU
Statistique Canada. (2023). Membres inscrits des Premières Nations : Profil, 2021. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/41-20-0002/412000022023004-fra.htm
Amnistie internationale. (2023). Canada : la situation des droits humains. https://www.amnesty.org/fr/location/americas/north-america/canada/report-canada/
Statistique Canada. (2022). Tendances désagrégées en matière de pauvreté tirées du Recensement de la population de 2021. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-X/2021009/98-200-x2021009-fra.cfm
Services aux Autochtones Canada. (n.d.). Programme de soutien à l’éducation des élèves des Premières Nations. Gouvernement du Canada. https://www.sac-isc.gc.ca/eng/1568396042341/1568396159824
Image dans l’article:
Un groupe d’écolières avec une sœur dans le pensionnat autochtone de Cross Lake (Manitoba), en février 1940. Des milliers d’anciens pensionnaires ont témoigné des abus et sévices subis de la part des religieuses.
PHOTO: BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA
Statistique Canada. (2023). L’accès à l’éducation pour les jeunes des Premières Nations vivant en régions rurales éloignées. Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-599-x/81-599-x2023001-fra.htm
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