Voici l’incroyable histoire d’une jeune enfant qui devient professeure de danse classique et permet à des centaines de petites filles de faire de leur rêve une réalité : danser. C’est au sud du Brésil que Claudia donne des cours depuis l’âge de treize ans pour échapper à la dure réalité de son quotidien.
VERONICA GOELZER
Les conditions de vie au Brésil
Le Brésil est l’un des pays les plus grands et peuplés au monde. Il est aussi très riche : avec son PIB à 1.89 milliards de dollars par an[1], il se classe parmi les dix premières économies mondiales. Seulement, lorsque nous regardons le PIB par habitant, qui reflète mieux le niveau de vie, le Brésil se retrouve environ au 80ème rang dans le classement des pays. Ce territoire est tellement vaste qu’il est difficile d’en parler en le généralisant. Ce qui est certain, c'est qu’il y a de grandes inégalités dans les classes sociales et que l'insécurité règne partout. Parmi les 50 villes les plus dangereuses au monde, 21 sont brésiliennes [2]. Quel que soit l’emplacement (les grandes villes, le côté rural, les favelas, …) ainsi que la situation financière de la famille (aisée ou modeste) se promener dans les rues peut s'avérer dangereux pour son intégrité physique et son patrimoine, tout comme prendre un taxi ou aller au parc. Parfois entourés de substances illicites et de gangs armés, les enfants grandissent au milieu de violences, dans des conditions où le brigandage est presque banalisé. La réalité de la vie quotidienne est loin de celle que nous connaissons en Suisse.
Terre des Hommes Suisse agit au Brésil
L’association intervient pour les enfants au nord du pays. En 2019, 1043 personnes ont bénéficié de leur aide, avec un budget de 160’000.- pour l’année 2020. Grâce à des actions et à des solutions pacifiques, le but de Terre des Hommes Suisse est de prévenir la violence chez les adolescents et de les protéger. Ils se focalisent sur l’accès à la justice pour les adolescents et prônent la “justice restauratrice” comme solution pacifique. Cette dernière met en avant la réintégration des jeunes dans la société, et cherche d’autres options que la prison comme peine, dans l’espoir de sortir les jeunes de la violence plutôt que de les laisser dans ce cercle vicieux. Terre des Hommes Suisse s’occupe de la formation de professionnels à la justice restauratrice, et encourage la médiation comme technique de résolution de conflit pacifique. De plus, les membres apportent une assistance spécialisée pour les jeunes. Les actions menées par l’organisation sont fructueuses, les membres sont appelés par d’autres États du pays pour intervenir et, récemment, l'association s’est classée parmi les 100 meilleures ONG agissant au Brésil. En 2019, elle sensibilise 1’000 journalistes aux droits humains et met en place 70 professionnels formés aux techniques de prévention de la violence. Au final, 53 adolescents et leurs familles ont bénéficié de mesures de justice restauratrice.
Le cas particulier de Claudia
Claudia Malta Souza Costa est une enfant qui vit à Alvorada, dans la région de Porto Alegre, une grande ville au sud du Brésil. À six ans, elle commence à prendre des cours de danse classique gratuitement grâce au programme “Escola Aberta”[3], dans une salle d’un collège qui ouvre ses portes les week-ends. Cette initiative, mise en place par le gouvernement fédéral, vise à garder les écoles publiques ouvertes les samedis et dimanches, principalement celles dans les zones à vulnérabilité sociale. L’objectif est d’utiliser à bon escient ces lieux pour la communauté, en mettant en place des activités culturelles, sportives et éducatives. Claudia s’y rend en bus, ou à pied si elle n'a pas assez d’argent pour payer le billet. Elle se découvre une passion pour la danse classique et continue à prendre des cours dans cette école jusqu’à ses quinze ans. Elle n’a encore aucune idée que, plus tard, ce sport lui permettra de changer la vie de tant de jeunes filles.
En 2012, suite au décès de son père, sa professeure de danse lui propose de consacrer plus de temps à ce hobby qu’elle apprécie tant, pour faire face à ce grand changement dans sa vie. Elle accepte, et c’est ainsi que Claudia, à seulement 13 ans, passe d’élève à professeure. Le groupe Indépendance est formé. La jeune fille commence à donner des cours de danse sous la supervision de sa mère. Elle encadre les plus petites, débutant comme elle l’a fait. Les cours sont gratuits et se déroulent tous les samedis dans la salle de gym de l’école Mauricio Siroskty Sobrinho, à Alvorada. Ce lieu est lui aussi soutenu par le programme “Escola Aberta”, qui avait permis à Claudia d’entrer dans le monde de la danse. Lors de sa première année en tant que professeure, elle a treize élèves, et ce chiffre ne fera qu’augmenter.
Grâce au programme fédéral, elle gagne une allocation de 40 réal brésilien par samedi, pour les déplacements et la nourriture. L’école Mauricio Siroskty Sobrinho est tout près de chez elle, Claudia s’y rend à pied et rentre chez elle pour déjeuner. Avec l’argent économisé, elle peut payer les cours qu’elle prend dans une autre école de danse privée, aussi à Alvorada. La question de savoir si Claudia exerce un travail est controversée : pour Claudia, il ne s'agit pas d’un travail, mais plutôt d’un moyen, pour elle comme pour ses élèves, de s'échapper de la réalité. En donnant des cours gratuitement, elle permet aux petites filles partageant sa situation d’entrer et de découvrir ce monde, comme elle en a fait elle-même l'expérience. La danse classique est un art qui ouvre aux danseurs les portes d’un univers magique. Grâce à ses cours, les petites ont un contact avec l’art qu’elles n’auraient jamais eu sinon. En enfilant un costume, composé d’un justaucorps, d’un tutu, de collants et de chaussons, les filles oublient leurs soucis. Comme dit Marlène Coste, la mère de Claudia : “Ici c’est un endroit pour rêver, car la réalité là dehors est très dure.”[4] De plus, cela permet aux filles d’être encadrées dans un endroit sûr. Les parents sont contents de savoir leurs filles en sécurité aux cours de danse ; elles ne seront plus dans la rue. La danse classique apprend aux enfants à avoir une bonne posture, de la patience et de l’élégance. Les élèves admirent Profe. Clau, comme elles l’appellent, elles sont très sérieuses, s’exercent à la maison pendant la semaine, et aspirent à devenir comme Claudia. Le samedi est un jour très attendu pour les petites. Une condition pour participer aux cours est d’avoir de bonnes notes à l’école, ce qui motive les filles à bien travailler pour l’école également.
Son école s'agrandit au fil des années : en 2014, elles sont déjà 50 élèves et un article de journal est écrit[5] sur Claudia et son parcours. Cet article raconte aussi comment le manque de ressources financières ralentit l’évolution de cette école de danse. Claudia doit trouver les équipements en friperies, dans des boutiques de seconde-main ou, parfois, avec l’aide des ressources de “Escola Aberta”. En 2015, le programme de soutient “Escola Aberta” touche à sa fin, pour causes de coupes budgétaires du gouvernement fédéral. La seule aide qu’il reste au groupe de danse est la salle de l’école. Un autre article est publié au sujet de Claudia : il raconte la nouvelle et explique que la jeune fille compte continuer à enseigner, même sans aucune aide. Ce sera cet article qui donnera la visibilité et l’aide nécessaires à Claudia et au groupe Indépendance.
George Fabris est un brésilien de Porto Alegre basé à Genève. En lisant l’article en ligne, il est touché par cette incroyable histoire et prend connaissance des difficultés financières de l’équipe de danse. Il décide de les soutenir, en s'assurant en premier lieu que l’école et Claudia existent ; il demande à une amie vivant dans la même ville d’aller vérifier si ce qui était écrit dans le journal est vrai. Après confirmation, George s’unit avec quelques amis, et ce sera le début de plusieurs années d’entraide. Ils récolteront à plusieurs reprises de l’argent pour acheter ce dont le groupe à besoin : des collants, des chaussons, des tutus, et aussi des tissus nécessaires à la fabrication de costumes pour les diverses représentations organisées. George et Claudia apparaîtront dans plusieurs journaux[6] et magazines, et il assiste même à des représentations de ballet. George et son groupe deviennent la principale source d’aide financière pour les filles. Sur place, les parents des élèves jouent un rôle très important : ils aident Claudia dans l’organisation et se portent volontaires pour transformer les tissus en costumes.
Aujourd’hui, Claudia a 23 ans et suit des cours à l’université. Elle continue de donner des cours de danse et a entre temps formé dix monitrices de danse classique. Le groupe est apparu plusieurs fois dans des articles de presse, le dernier datant de septembre de cette année[7]. Elle a quatre-vingt élèves à l’heure actuelle, mais en avait cent vingt avant que la pandémie ne frappe. En dix ans d’enseignement, Claudia aurait instruit environ 2’000 enfants. Elle a gardé les dossiers de toutes ses petites. Grâce à elle, les filles s’immergent dans le monde du ballet et sont hors du danger des rues.
Lien avec un film projeté par Terre des Hommes Suisse UNIGE
“Platzspitzbaby” est un film de Pierre Monnard, diffusé au mois d’octobre à Uni-Mail, pour sensibiliser les jeunes sur l’effet que la toxicomanie chez les parents a sur les enfants. Dans ce film, nous voyons que Mia s’échappe de la réalité en parlant à son ami imaginaire qui est un joyeux musicien. Grâce à leurs chansons, elle a le courage d’aller de l’avant, elle peut s’imaginer une vie légère et facile où le soleil brille sur sa peau.
En écrivant cet article, même si ce sont des problématiques complètement différentes et non comparables, j’ai trouvé que le personnage de Mia résonnait en Claudia et ses élèves. Des deux côtés, elles réussissent à trouver quelque chose pour rêver, s’évader et aller de l’avant.
Qu’est ce que c’est d’être un enfant ? C’est une période de développement de l’esprit et du corps, où l’enfant doit être protégé. Selon la Convention des Droits de l’Enfant de l’ONU, chaque enfant a droit aux besoins vitaux, mais chaque enfant a aussi le droit de développer son potentiel, de jouer, d’être vu et entendu et d’être aimé. Malheureusement, ces droits ne peuvent pas toujours être appliqués. Je trouve que les cours de danse donnés par Claudia lui apportent, à elle et à ses élèves, ce développement et cet enrichissement que chaque enfant mérite.
Bibliographie
Sites internets :
- Banque mondiale : consulté le 01.12.22
- International Monetary Fund : consulté le 01.12.22
- Journal Diário Gaúcho : adolescente de 14 ans donne des cours de danse, publié le 05.11.14 http://diariogaucho.clicrbs.com.br/rs/dia-a-dia/noticia/2014/11/adolescente-de-14-anos-da-aulas-de-bale-para-50-meninas-em-alvorada-4635615.html
- Journal Diário Gaúcho : donations d’un lecteur suisse, publié le 19.06.15
- Journal Diário Gaúcho : publié le 29.09.22
- Journal Diário Gaúcho : publié le 14.12.15
- Journal GZH : publié le 20.11.16
- Programa Escola Aberta : consulté le 03.12.22
- Protection de l’enfance Suisse : consulté le 01.12.22
- Terre des Hommes, Brésil : consulté le 01.12.22
Conventions :
- Convention relative aux Droits de l’Enfant :
Images :
- Divers photographies prises au cours des années, les droits d’auteurs nous ont été donnés par Georges Fabris
[1] https://donnees.banquemondiale.org/pays/bresil?most_recent_year_desc=true [2] http://phoenix.tdh.ch/fr/nos-interventions/bresil#actualite [3] http://portal.mec.gov.br/expansao-da-rede-federal/195-secretarias-112877938/seb-educacao-basica-2007048997/16739-programa-escola-aberta [4] Marlène Coste [5] http://diariogaucho.clicrbs.com.br/rs/dia-a-dia/noticia/2014/11/adolescente-de-14-anos-da-aulas-de-bale-para-50-meninas-em-alvorada-4635615.html [6] http://diariogaucho.clicrbs.com.br/rs/dia-a-dia/noticia/2015/06/meninas-que-dancavam-apenas-com-meia-receberam-doacao-de-leitor-da-suica-4784210.html [7] http://diariogaucho.clicrbs.com.br/rs/dia-a-dia/noticia/2022/09/no-aniversario-de-10-anos-grupo-de-bale-luta-por-uma-sede-23258908.html
Comments