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Colombie : Enfants abandonnés sans laisser de traces


« Ça fait une semaine qu’on marche », dit Miguel, un jeune garçon qui a quitté sa famille pour chercher un travail à Bogotá, capitale de la Colombie. L’histoire de Miguel n’est pas un cas isolé en Colombie, ni dans les pays voisins, où l’état d’urgence dure depuis des décennies en raison des instabilités politiques et économiques. Comme dans la majorité des autres pays du monde, les victimes les plus affectées par ces instabilités sont les enfants et les adolescents, les personnes les plus vulnérables de la société. En Colombie, mais aussi dans les autres pays d’Amérique de Sud comme le Pérou et le Brésil, nous sommes face à un phénomène d’abandon des enfants, qui se retrouvent dans les rues des grandes villes, sans leur famille, ou dans les villes frontalières du Venezuela. Comment font ces enfants pour survivre ? Existe-t-il des solutions pour leur permettre de reprendre pied dans la société ?»

ELENA LEUCHT


Qui sont les enfants abandonnés, et pourquoi se trouvent-ils dans les rues ?

On peut distinguer deux catégories d’enfants des rues : les enfants totalement abandonnés, aussi appelés les gamines, et les enfants partiellement abandonnés. [1]

« La plupart des enfants de la rue n’ont pas été abandonnés par leurs familles. Au contraire, ils se sont enfuis de la maison pour échapper aux mauvais traitements, à la pauvreté ou à l’autorité parentale. »[2] Très souvent, ces enfants se sentent déplacés en raison des troubles ou des violences familiales, et ils quittent le domicile familial pour chercher une vie meilleure dans la rue, en compagnie d’autres enfants du même âge.[3] Les enfants partiellement abandonnés ont encore des liens avec leur parents, mais ils vivent dans des situations familiales instables et se retrouvent dans des cercles de drogues et de crimes dans les rues.[4]

Si l’on prend en compte la situation géographique spéciale de la Colombie, il faut encore mentionner les enfants migrants, qui viennent principalement du pays voisin, le Venezuela, avec lequel la Colombie partage une frontière de 2000 km. Ces enfants ne sont pas, par définition, des enfants « colombiens » mais, au vu des chiffres élevés des années passées, il est quand même important, voire nécessaire, d’en parler. Avec ces enfants, les chiffres d’enfants abandonnés sont encore plus élevés, les tensions dans les rues s’aggravent et les centres et institutions d’accueil se trouvent face à une situation qui devient de plus en plus difficile à contrôler. Plus de 6 millions de Vénézuéliens ont choisi l’exil pour échapper à l'insécurité et aux pénuries. La Colombie est le principal pays d’accueil : 200 adolescents passent la frontière chaque jour et 80% d'entre eux disparaissent.[5]

Les Trochas sont les chemins qui permettent de passer illégalement la frontière entre la Colombie et le Venezuela. En raison de la situation économique au Venezuela, les enfants se rendent en Colombie pour trouver du travail et pour acheter des produits alimentaires ou des médicaments. Un quart des migrants qui passent par les Trochas sont des mineurs et la majorité d’entre eux sont seuls et sans papiers. Le seul moyen pour entrer en Colombie est de prendre le chemin illégal, qui est aussi l’un des plus dangereux, car la mafia règne sur ce territoire. Née dans les prisons vénézuéliennes, la mafia frontalière s’est imposée par sa violence, et elle a étendu son influence sur la Colombie jusqu’au Chili. [6]


Les conséquences

« La rue c’est magnifique, la rue c’est la liberté, mais la rue c’est une jungle, c’est la loi du plus fort »[7] dit Jean, qui a quitté le domicile de sa mère quand il était enfant, et qui raconte ses expériences dans les rues de Bogotá. Mais avec la liberté viennent l’insécurité et l’instabilité, une très grande peur et le risque de devoir affronter les violences et les abus des gangs, d’être utilisés par des adultes ou de subir des abus sexuels. [8]


Dans chaque cas, l’enfant est constamment à la recherche de sa famille biologique ou d’une famille remplaçant sa famille d’origine même si, pour retrouver ce sentiment d’attachement et de soutien émotionnel, il doit faire face à des situations mettant en péril sa sécurité et son intégrité physique.[9] « La consommation de drogue est un phénomène commun à tous ces enfants des rues » [10]: Les enfants totalement abandonnés, mais aussi les enfants partiellement abandonnés et les enfants migrants font très souvent partie d’une bande de quartier, et ils sont régulièrement arrêtés par la police pour vol ou pour consommation de stupéfiants. [11]


À coté du trafic de drogue, la prostitution est l’un des trafics les plus fréquents, notamment pour les jeunes filles. Michelle, jeune fille vénézuélienne de 16 ans qui habite dans un centre d’accueil à Cucuta, ville frontalière entre la Colombie et le Venezuela, doit se prostituer pour survivre et pour nourrir son enfant. Elle est l’une des 250 jeunes adolescentes qui logent avec leurs enfants dans la même institution frontalière. « Ça c’est tout que j’ai. Et là c’est le matelas pour tous les deux », dit la jeune fille. [12]


Existe-il des solutions ?

Un enfant qui se trouve dans une situation de danger ou d’instabilité grave « devrait avoir d’autres possibilités avant d’être contraint de vivre dans la rue ». [13] En effet, très souvent, « l’enfant abandonné a tendance à situer son problème non pas au niveau de lui- même, mais au niveau de sa famille, de la société et des circonstances »[14]. C’est pourquoi il faut, en premier lieu, renforcer la famille en tant que telle et éliminer les violences familiales. Cela permettrait aux enfants de grandir dans un environnement stable et d’éliminer la nécessité de s’éloigner de l’environnement familial. [15] En Colombie, c’est l’institut du bien-être familial (ICBF) qui travaille dans les domaines de la prévention et de la protection des enfants et des adolescents, ainsi que du bien-être de la famille. Avec ses programmes, ses stratégies et ses services, l’Institut touche environ 8 millions de Colombiens. [16] Un exemple très récent est celui d’une jeune fille de 12 ans qui était victime des violences sexuelles, probablement imposées par son père et d’autres personnes proches de son environnement familial. Sous la protection de l’ICBF, la jeune fille a pu être soignée dans un hôpital et, ensuite, être placée dans un foyer. [17]


Malgré les efforts des institutions gouvernementales et compte tenu du nombre élevé d’enfants en péril, ce sont très souvent des institutions ou des centres indépendants qui s’occupent des enfants au niveau local. À Bogotá et dans les autres grandes villes de Colombie, il existe des institutions comme celle fondée par le Padre De Nicolò, qui sont les principaux centres d’accueil pour les gamines.[18] Des centres d’accueil, appelés Bosconia, sont situés dans les quartiers les plus pauvres des villes et des éducateurs font des tournées nocturnes dans les endroits où se réfugient les gamines. [19]


À l’ouest de la Colombie, à Cucuta, l’église de la frontière a été transformée en centre d’accueil pour des mineurs âgés de 5 à 16 ans. L’institution accueille environ 90 enfants chaque jour, et la majorité d’entre eux sont des enfants migrants vénézuélien. Les enfants y reçoivent deux repas par jour, ce qui est pour leurs parents, qui restent au Venezuela, le seul moyen de nourrir leurs enfants. Pour les enfants eux- mêmes, il s’agit non seulement d’un centre d’accueil, mais aussi d’un centre d'éducation où ils apprennent à lire et à écrire et, pour les plus jeunes d’entre eux, un centre où ils peuvent redevenir enfants et retrouver leur vraie nature. [20]




Conclusion

Comme nous l'avons vu, la situation des enfants dans les rues est assez complexe. Même s’il existe de nombreux cas différents d’enfants se trouvant à l’abandon, ces derniers sont tous unis par un sentiment de déracinement « dans leur attachement, dans leur famille, dans leur identité (...) [et] dans leur culture »[21]. Face aux insécurités sociales, politiques et économiques qui se présentent en Colombie aujourd’hui, notamment pour les personnes les plus vulnérables et les plus faibles de la société, le chemin vers l'instauration d’un système social qui permettra aux enfants de grandir dans des conditions stables et humaines, est encore très long.








Références

Publications scientifiques

Balegno, Lorenzo et Colmenares, Maria Eugenia. Les enfants des rues en Colombie (2005). Apparait dans le livre La résilience : le réalisme de l’espérance (2005) sous la direction de Fondation pour l’enfance


Sites internet


Beaunaux, James. Enfants en péril (1995)


Site officiel de l’institut de bien-être de la famille (ICBF), pas d’auteur


Site officiel de l’institut de bien-être de la famille (ICBF), pas d’auteur


Documentaires

Gasser, Gilles et Cadoret, Rémy (France, 2022), Colombie : les enfants disparus de la frontière (ARTE)https://www.youtube.com/watch?v=OI-qz1el_SY&t=1089s


Image

Volodymyr Hryshchenko,

[1] Balegno, Lorenzo et Colmenares, Maria Eugenia. Les enfants des rues en Colombie (2005), p. 218 [2] https://learn.tearfund.org/fr-fr/resources/footsteps/footsteps-21-30/footsteps-28/children-at-risk , 3 novembre 2022 [3] Balegno / Colmenares, p. 129 [4] Balegno / Colmenares, p. 130 [5] Documentaire ARTE https://www.youtube.com/watch?v=OI-qz1el_SY&t=1089s [6] Documentaire ARTE https://www.youtube.com/watch?v=OI-qz1el_SY&t=1089s [7] Balegno / Colmenares, p. 138 [8] Balegno / Colmenares, p. 139 [9] Balegno / Colmenares, p. 130 et 131 [10] Balegno / Colmenares, p. 136 [11]Balegno / Colmenares, p. 131 [12] Documentaire ARTE [13] https://learn.tearfund.org/fr-fr/resources/footsteps/footsteps-21-30/footsteps-28/children-at-risk , 3 novembre 2022 [14] Balegno / Colmenares, p. 141 [15] https://www.icbf.gov.co/noticias/consejo-directivo-del-icbf-prioriza-la-erradicacion-de-la- violencia-contra-ninos-ninas-y , 3 novembre 2022 [16] https://www.poverty-action.org/organization/instituto-colombiano-de-bienestar-familiar , 3 novembre 2022 [17] https://www.icbf.gov.co/noticias/bajo-proteccion-del-icbf-permanece-en-atlantico-nina- victima-de-violencia-sexual , 3 novembre 2022 [18] Balegno / Colmenares, p. 141 [19] Balegno / Colmenares, p. 142 [20] Documentaire ARTE https://www.youtube.com/watch?v=OI-qz1el_SY&t=1089s [21] Balegno / Colmenares, p. 137

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